Le canal du Midi ou le songe d’une flânerie en Montagne Noire.
Le 4 juillet 1665, le sieur Pierre-Paul Riquet, fermier des gabelles de Languedoc, écrit au grand Colbert, ministre d’état et intendant des finances du roi Louis XIV. « Monseigneur, je vous escris au subject d’un canal qui pourroit se faire dans cette province du Languedoc pour la communication des deux mers Occeane et Méditerranée. Vous vous estonnerés que j’entreprenne de vous parler d’une chose qu’apparament je ne cognois pas et qu’un homme de gabelles se mesle de nivellage. Pourtant cette nouvelle navigation fera que le destroit de Gibraltar cessera d’estre un passage absolument nécessaire. » Fichtre ! Riquet a-t-il les moyens d’une si grande ambition ?
Les raisons de l’empressement.
Dès l’année 1539, des projets de jonction entre l’Aude et la Garonne voient le jour. Le transport fluvial est le moyen d’acheminement des marchandandises le plus rapide et le plus sûr de l’époque. Aussi, dans son courrier du 4 juillet 1665, Pierre-Paul Riquet reprend un projet déjà étudié. Seule une alimentation régulière et continue en eau du canal a empêché sa réalisation. Riquet a la solution technique et financière au problème. Mais il va poursuivre plusieurs objectifs.
Certes le premier intérêt du canal est d’ordre économique. Il développera les échanges. Les taxes de navigation apporteront un peu plus d’argent frais dans les caisses vides du royaume et Colbert le sait. En effet il pourra être un dérivatif à la route maritime du détroit de Gibraltar. On gagnera du temps à couper de la sorte et on évitera les Barbaresques, ces pirates qui écument la Méditerranée et qui ont, eux aussi, le goût des taxes.
Cependant, Pierre-Paul Riquet a des intérêts personnels à construire le canal. N’est-il pas « fermier des gabelles de Languedoc », ce poste qui consiste à avancer au roi l’impôt sur le sel en échange de quoi il vous laisse toute latitude pour le récupérer auprès de la population. Ce sel n’est-il pas un bien précieux et le seul permettant la conservation des aliments en salaison ? N’y a-t-il pas également dans le prolongement du canal des exploitations de sel d’Aigues-Mortes et de la côte narbonnaise? En exploitant le dit canal, Riquet ne percevra-t-il pas les taxes de navigation (les écluses ne sont pas que des ascenceurs) ? Ne pourra-t-il pas valoriser les berges (l’exploitations du bois ou des moulins à eaux) ?
Voilà un homme riche sur le papier. Une dernière motivation plus profonde et personnelle transparaît. Pierre-Paul Riquet veut récupérer des droits de noblesse familiale depuis longtemps oubliés en obligeant le roi.
La clef de l’énigme.
En adressant un courrier à Colbert, Pierre-Paul Riquet connaissait les solutions pour viabiliser le projet du canal des Deux-Mers. Ce dernier était dit « à seuil de partage », comprenez qu’il devait franchir un point haut. Ce seuil était depuis longtemps identifié. Il se trouvait à Naurouze, au pied de la Montage Noire, entre Toulouse et Carcassonne, et s’élevait à 190 mètres d’altitude. Ainsi le canal intégrait dans sa conception deux versants : l’un descendant vers l’Atlantique et l’autre vers la Méditerranée.
Comment alimenter avec régularité et constance les 241 km de voie navigable et ses 63 écluses ? Par le passé les ingénieurs pensaient détourner l’eau de la Garonne. Impossible. On calcula un approvisionnement depuis le fleuve Ardèche. Trop loin et trop coûteux. Riquet avait un avantage, il connaissait le pays pour y avoir habiter. Et au cours de ses ballades il avait découvert comment la Montagne Noire qui surplombait Naurouze serait la clef de sa réussite technique et financière.
La Montagne Noire est un des derniers contreforts du Massif Central. Ses forêts sont humides, la neige y est abondante l’hiver et son sol en granit favorise le ruissellement des eaux. Là Riquet a eu une intuition. La somme des multiples petits cours d’eau pouvait suffire à alimenter son canal. Et voilà un homme qui sans être ingénieur de formation (mais bien renseigné par ses lectures comme le traité de l’eau de 1655 ) allait par son sens de l’observation trouver la solution du problème.
Auparavant il avait déjà détourné un cours d’eau dans la plaine, le Sor, et construit une rigole de 35 km l’amenant au seuil de partage des eaux de Naurouze. Insuffisant toutefois. Mais désormais grâce à la captation des eaux de la Montagne noire, il tenait son débit nécessaire et régulier. Il détourna l’Alzeau à 680 mètres d’altitudes. Puis une multitude de rivières croisées dans la pente vinrent alimenter une nouvelle rigole dite « de la montagne ». Une retenue d’eau fut aménagée (le lac de Saint-Ferréol) pour prévenir et réguler le niveau de l’eau qui se déversait en contre bas dans la « rigole de la plaine » et anticiper les périodes de sècheresse.
Le coup de génie d’un seul homme?
La prise d’Alzeau est à n’en pas douter un coup de génie. Mais Riquet n’était pas seul à en avoir la paternité. Il savait s’entourer d’ingénieurs de talents. Sa véritable inspiration fut de connaître parfaitement un environnement et s’adapter à lui. Les rigoles et réserves d’eau furent construites sur ce principe. On utilisa au maximum les failles naturelles pour tracer un nouveau chemin d’écoulement ou des étrangelements de la roche pour établirbarrage et lac, économisant grandement les ressources humaines et pécuniaires. Le prélèvement sur les cours d’eau ne fut pas parfait mais les lacs de réserve furent alimentés avec l’excédent de cette « rigole de la montagne ».
Ainsi du seuil de Naurouze jusque dans les hauteurs de la Montagne Noire une quinzaine d’hommes suffisaient à actionner les trappes et stabiliser l’eau du canal du Midi.
Aujourd’hui le canal du Midi dépend du Ministère de l’Environnement et de la Mer. La concurrence du train et de la route l’ont transformé en seule attraction touristique. Mais dans un monde qui change si rapidement le canal de par son alimentation sera toujours là pour nous. Il a été construit et pensé par un homme qui n’avait pas oublié qu’au delà de toutes les prouesses technologiques de l’humanité notre plus grande force reste la connaissance de notre environnement. À bon entendeur…
Texte et illustrations de SEB.
Un grand merci à Samuel Vannier, chargé des archives et des projets culturels à la direction territoriale Sud-Ouest de Voies Navigables de France. Il m’a évité bien des écueils. Son ouvrage Le canal du Midi – Patrimoine culturel, patrimoine naturel co-écrit avec Robert Marconis, Jean-Loup Marfaing et Jean-Christophe Sanchez, photos de Julien Gieules est disponible aux éditions Loubatières.
Je vous invite également à venir visiter une expo sur les 350 ans de la signature de l’édit de construction du canal. À découvrir au fil de l’eau sur la péniche de Voies Navigables de France « la Naïade ». Toutes les infos sur www.sudouest.vnf.fr
Rendez-vous la semaine prochaine pour une chronique où nous irons dans une « marmite » en plein cœur de Banyuls!
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