> Le canal du Midi, sa voûte arborée, ses écluses, ses ponts, sa piste cyclable. Long de 241 kilomètres, il relie Toulouse à l’étang de Thau, traverse l’Occitanie et ses quatre-vingt-dix collectivités, dont trois départements. Derrière la carte postale se cache pourtant une réalité bien plus complexe, source d’enjeux (…)
Qui peut sauver le soldat canal du Midi ? Il y a 351 ans, Louis XIV signait l’édit royal autorisant les travaux de sa construction. En 2017, l’ouvrage de Pierre-Paul Riquet est menacé. Le chancre coloré, détecté en 2006, poursuit sa propagation à vitesse grand V en s’attaquant exclusivement aux platanes plantés le long des berges. Après l’Hé- rault et l’Aude, ce champignon microscopique, qui traverse l’écorce et les anneaux de sève de l’arbre pour l’asphyxier en six mois à cinq ans, est aux portes de Toulouse.
Pour ralentir sa progression, 17.400 platanes sur 42.000 ont été abattus depuis 2011 et remplacés par 5700 chênes chevelus, érables, pins parasols ou encore peupliers blancs afin de recréer la voûte arborée. Mais cette opération a un coût : 220 millions d’euros. « Elle consiste à mettre en place une zone de contamination isolée afin d’abattre les arbres malades que l’on brûle pour éviter la propagation de la maladie. Elle prévoit aussi la replantation et l’entretien des berges et l’installation de nichoirs », explique Mary Bonneaud, chargée de collecte auprès du grand public à la direction sudouest de Voies navigables de France pour justifier ce montant. Une somme d’ailleurs qui devrait être partagée en trois entre l’État, les collectivités et des financements innovants comme le mécénat. Sauf que rien ne se passe comme pré- vu. La Région, dans le cadre du contrat de plan État-Région 2015-2020, injecte 48 millions d’euros ; VNF, 35 millions sur les 70 millions budgétisés.
L’établissement public administratif gestionnaire du canal du Midi a aussi lancé plusieurs campagnes de mécénat auprès des particuliers et des entreprises. Plus de 3,3 millions ont été recueillis, dont 12.500 euros lors de la dernière campagne de financement participatif sur la plateforme Ulule. Une goutte d’eau en réalité, d’autant que les collectivités n’ont apporté que 1,5 million d’euros. Même si le conseil départemental de l’Aude a versé 800.000 euros en 2014, la collectivité s’est abstenue en 2015 et en 2016. « L’entretien est de la responsabilité de VNF, le bien appartenant à l’État », se défend Hervé Baro, premier vice-président en charge du canal du Midi, qui constate « un déficit d’investissement ». Néanmoins, il prévient que la collectivité est investie dans l’opération de replantation des arbres à hauteur de 10,5 millions d’euros versés sur vingt ans. « Nous sommes engagés de façon directe et indirecte, en finançant et en fournissant des plants », assure-t-il.
Déclassement en 2019 ?
Cette maladie du chancre coloré est l’arbre qui cache la forêt. Pierre Cardinale, membre du club économique Toulouse au Fil de l’O, pointe d’autres maux : pollution de la voie d’eau par les eaux usées des bateaux touris toir amélioré où se croisent des familles, des cyclistes et des voitures », maisons éclusières « abandonnées »… Ainsi que l’envasement de la voie d’eau et les digues en mauvais état. En raison de ces maux, le canal du Midi est un bien potentiellement menacé de déclassement lors du prochain rapport d’évaluation de l’Unesco prévu en 2019. « Même si nous n’avons touché aucune subvention financière, ce label obtenu en 1996 a été un formidable coup de publicité, permettant une hausse de 40% du nombre de bateaux navigants sur le canal. Or en 2007, l’Unesco a établi de nouveaux critères auxquels nous devons répondre.
Financièrement, l’État ne peut le faire seul. Il faut alors un engagement global de toutes les collectivités, des associations, des acteurs économiques et touristiques. Car perdre le label serait une catastrophe, même si cela ne peut pas se faire du jour au lendemain, reconnaît Jacques Noisette, directeur de la communication aux VNF. Nous devons pallier ce risque et relever ce défi ». Message entendu. Le préfet Pascal Mailhos et la présidente de la région Occitanie, Carole Delga, ont créé le comité de bien public qui a tenu ses premières assises en janvier 2017. Elles ont réuni 250 participants dont les quatre-vingtdix collectivités concernées par le canal du Midi et les associations environnementales notamment. Objectif : élaborer un plan de gestion, soit une stratégie globale budgétisée pour l’exploitation et la protection du canal. Des ateliers sur l’aménagement, le développement économique ou encore la navigation et l’environnement, se sont organisés en février. « L’idée est de dresser un état des lieux et de faire remonter les solutions. Un travail de collecte des informations et d’analyse est en cours », assure Dominique Salomon, vice-présidente en charge de la culture, du patrimoine et des langues régionales à la Région. L’élue ajoute : « Ce plan de gestion s’intègre dans un dispositif plus global, appelé Plan de développement durable du canal, qui a pour but la valorisation paysagère, touristique et économique du canal et de ses abords, la restauration de la qualité des eaux et la préservation du patrimoine historique ».
Nouveaux critères Unesco
Ce plan a été évalué à 230 millions d’euros sur trois ans : l’État et VNF apportent 130 millions, la Région 40 millions d’euros. Il reste à trouver 60 millions. Le conseil départemental de l’Aude impose une condition sine qua non pour accorder sa participation financière : « Toutes les collectivités concernées doivent se retrouver autour d’une même table, les conseils départementaux de la Haute-Garonne et de l’Héraut ainsi que Toulouse Métropole. Et chacune doit faire face à ses responsabilités », tranche Hervé Baro. Pierre Cardinale voit dans cette mobilisation « symbolique » une stratégie pré-électorale. « Le canal est devenu un enjeu politique, il traverse dix-huit circonscriptions PS. Or, il s’agit d’un dossier complexe avec un vrai débat de fond. Alors on demande : où est l’argent ? Quelles sont les lignes budgé- taires ? Où sont les crédits ? Certes, ce constat est brutal mais nous sommes face à un silence radio inquiétant. » L’autre chantier consiste à mettre sur pied une nouvelle gouvernance associant État et collectivités, une première. « Toute la difficulté est de la mettre en place sur un linéaire sur lequel un certain nombre de collectivités ont un lien avec le canal », reconnaît Dominique Salomon, qui indique que la création d’un groupement d’intérêt public, autonome financièrement et juridiquement, est envisagé. Enfin, en conformité avec le souhait de l’Unesco, la préfecture de région Midi-Pyrénées lançait en 2015 la procédure relative au classement des abords du canal du Midi, de son système d’alimentation, du canal de jonction et du canal de la Robine. La commission supérieure des sites, perspectives et paysages vient de donner son feu vert. « Sur le fond, on est d’accord avec cette extension de 500 à 800 mètres depuis la voie d’eau. Car il faut préserver ce Versailles. Mais, quel sera l’impact sur les territoires, les agriculteurs, les citoyens ? Quelles contraintes économiques vont peser sur eux ? » s’interroge Pierre Cardinale.
Audrey Sommazi
Sur la photo : Le Canal du Midi, classé au patrimoine mondial de l’Unesco est en danger. Crédits : Rémy Gabalda – ToulÉco.
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