Nous avons vu précédemment comment le canal du Midi, faute de modernisation, a été déserté par le trafic des marchandises il y a une trentaine d’années. Or, dès le milieu du XIXe siècle, était née l’idée d’une liaison maritime entre Bordeaux et Narbonne : ces deux villes devenues ports de mer, les paquebots et les cuirassés n’auraient pas eu à contourner la péninsule ibérique et auraient réalisé une économie de 1 400 km.
Près de soixante-dix projets virent le jour, le plus sérieux étant présenté en 1880 par l’ingénieur Verstraët. Celui-ci prévoyait de réaliser une voie d’eau mesurant 406 km de long sur 8,50 mètres de profondeur, 56 à 80 mètres de large, comportant soixante-deux écluses, avec à Naurouze une tranchée de 38 m de profondeur permettant d’abaisser le point de partage des eaux. Ces vues grandioses s’expliquent par la volonté de certains ingénieurs, marqués par la révolution industrielle et désireux de réaliser de grandes œuvres, mais aussi par les espoirs d’industrialisation sur lesquels misaient les Toulousains, partisans de ce projet.
Les avantages économiques paraissaient évidents en raison du gain de temps réalisé, mais à cela s’ajoutait un atout militaire : les cuirassés français éviteraient Gibraltar et les canons de l’Angleterre, «notre éternelle ennemie» !
En réalité, se posait toujours le problème des écluses qui allaient allonger le temps du transit, ce qui faisait une grande différence avec le canal de Suez, objet constant des comparaisons, qui est sans écluses. Un autre sérieux problème était celui de la rentabilité, en partie liée au point précédent, nécessaire pour amortir les travaux de ce gigantesque chantier. Nous l’avons vu, le rôle économique de la voie d’eau était réduit dans le Midi du fait de sa faible industrialisation, si bien que le canal continuait à voir passer uniquement des céréales et du vin. Cela explique que l’État ait refusé d’autoriser et donc de financer cette réalisation, qui aurait coûté bien plus cher que le total de 500 millions de francs-or avancé par ses partisans.
Marquié (C.), « Canal du Midi et/ou canal maritime ? (XIXe-XXe s.) », MAASC, 2016.
Claude Marquié – extrait de LA DEPECHE DU MIDI